Voyages imaginaires
Mon esprit vagabonde à la recherche d'autres livres, d'un alcool de mots plus fort, plus apre. Alors c'est ces univers-là qui ressortent, Bilal, Ellroy ; des livres que j'arrive difficilement à avaler, si j'y arrive, mais qui sont un appel sporadique dans mes nuits cahotiques.
Les histoires que racontent ces livres sont d'une noirceur désespérée, les héros qui les peuplent sont déjantés, et vivent leur vie sous hallucination permanente. Leur propre lucidité est si forte qu'elle les aveugle alors ils ont recréé leur propre monde - je pense surtout aux héros d'Ellroy et à leurs "merveilles" en écrivant cela.
Je ne sors pas de ces lectures intacte. Ces univers noirs et baroques éveillent un côté de ma personnalité que j'explore rarement et superficiellement, comme si j'étais effrayée que ce côté sombre n'engloutisse la lumière et ne me phagocyte toute entière.
J'ai peur alors je me hate de me rassurer avec des romans propres sur eux, où pas un personnage ne dépasse, dans ces fresques épiques où les personnages servent l'histoire et non le contraire. Je tiens un moment comme ça, passant d'un roman d'Eddings à un nouveau volume de Dune, sans que cela en diminue la valeur, bien au contraire.
Mais il y a toujours un moment où l'appel de l'ombre se fait plus fort et je rouvre malgré moi ces romans enfouis à la hâte au fond d'un placard. Ces livres là sont peuplés d'alcools qui brûlent la gorge, de fumée de cigarette ou de joint aussi. Les personnages et les histoires qui hantent les pages parlent de la lucidité désabusée d'un monde où l'innocence de l'enfance a été assassinée et où pourtant il faut continuer à vivre, et à essayer d'être heureux, même si souvent les héros ne croient plus à leurs rêves de bonheur depuis longtemps et essaient seulement de survivre dans un monde hors de contrôle.
Ce monde-là n'est pas éclairé par la lumière fraiche du matin ou le doux soleil de fin d'après-midi, mais par le soleil brûlant et sans concession de midi d'un désert mexicain. On ne fait pas un tel voyage sans se brûler les ailes mais la blessure elle-même fait partie du rituel, comme un sacrifice nécessaire. Après, on ne voit plus jamais le monde la même façon.
Je ne sais plus si j'ai vraiment le choix. Je sens que la fêlure est déjà là. J'essaie de la recouvrir d'un univers rassurant mais le chaos me guette et j'ai pafois envie de m'y jeter tête première, même si je sais qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. Une fois que l'innocence est perdue, c'est définitif.
A moins que mon innocence ne soit plus qu'une illusion que j'essaie de plaquer tant bien que mal sur la fêlure, pour colmater à tout prix cette brêche qui menace de venir un gouffre. Parce que j'aime mon innocence, mon univers de fresques futuristes, de mondes imaginaires où tout est possible, et surtout le bonheur, que ce soit en Terre du Milieu ou dans les sables de Dune.
Ecrit par Summer, le Mardi 13 Avril 2004, 12:59 dans la rubrique "Une pluie d'été".
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Songe
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J'ai toujours été fasciné par la facette obscure des choses ... depuis le temps que je pratique le jeu de rôles je n'ai joué presque que des figures sombres, de ces âmes noircies et déchues qui ont fait du mal un art bien au-delà du manichéisme habituel qui pose le chaos à l'opposé de la loi (Moorcock). Je pense que tu découvrirais avec fascination les univers les plus sombres du jeu de rôles comme le jeu Kult déconseillé aux moins de 16 ans ... ces univers où l'espoir est un luxe ponctuel et où l'ombre recouvre jusqu'à la dernière parcelle d'humanité. Mais j'avoue que personne ne m'a jamais suivi à la découverte de ces aventures-là ... je crois que la connaissance de cette face là des choses est essentielle pour estimer la valeur de la face opposée, lumineuse ... Combien de parties où mon imagination semblait ne laisser aucune issue à mes joueurs, où chaque gouffre d'obscurité semblait en border un plus profond ... et pourtant c'est là, dans la déchéance et la tentation de corruption la plus totalle que je déposais la petit lumière pour voir quel serait le choix du joueur déja fortement déchu ... J'ai toujours su apprécier la luminosité au regard et en connaissance de l'abîme le plus profond de noirceur ... l'innocence est certe perdue mais la vertu, les valeurs elles se conservent si on s'y tient fortement : d'avoir lu et vu les récits des actes les plus ignominieux de l'humanité ne m'a jamais détourné de la beauté pure et de la noblesse de certaines émotions ... L'innocence c'est savoir regarder le mal en face sans s'en laisser tenter ... c'est tout ce qui fait la force de ces personnages légendaires qui envers et contre tout défendent la vertu aux portes même de l'enfer (Sam et Frodon sur l'Eridruin). Si tu explores le noir en cultivant le blanc qui l'éclaircit il n'y a de fêlure, il que le blanc pénètre dans le noir s'il veut l'éclaircir (comme une mère Thérésa pénétrant dans la misère des bidonvilles de Calcutta). J'avais hésité à faire un blog sombre qui explore le noir mais je me suis dis que c'était une aventure personnelle à partager seulement avec ceux qui savent pénétrer cette noirceur sans s'en trouver contaminés.
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Summer
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Le côté obscur attire toujours plus que le côté lumineux, pour rester dans la même terminologie, il suffit de voir les personnages les plus cultes de Star Wars, ce ne sont pas les "gentils". Là où je sais qu'une histoire est bien écrite/réalisée, c'est quand je commence à trouver le "bad guy" plus intéressant que le héros.
Les jeux de rôles ne m'ont jamais attirée, justement parce qu'ils sont basés sur une interaction, mais aussi parce que tu es prisonnier de ton rôle. Venant de sortir d'une dépression, j'évite le plus possible de plonger trop profond, je l'ai eu fait, et je sais que je m'y plais un peu trop pour mon propre bien-être. Ecrire sur la déchéance de personnages... ce sera l'objet d'un autre post.
J'avais perdu cette innocence du regard, mais je suppose que c'était dû à la dépression. Maintenant, heureusement, je la retrouve ! J'ai l'impression qu'il me reste encore quelques scories de ces dernières années, mais mon ancien optimisme revient en force. Avant, je disais toujours que j'avais gardé mon innocence d'enfant pour m'émerveiller devant les choses simples, et que ma plus grande qualité était l'enthousiasme. Ca redevient vrai après un long tunnel. J'aime bien ta comparaison avec Mère Thérésa. Elle disait qu'elle savait qu'elle ne sauverait pas le monde, mais qu'elle avait d'abord essayé de sauver une personne, puis une autre. Un état d'esprit beaucoup plus pragmatique que les solutions globales.
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Songe
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Il est vrai que le côté sombre attire plus que le lumineux : il y a une grande admiration populaire pour l'excellence du mal. Les grands truands comme Capone ont récolté bien plus d'admiration que de dégoût; combien se sont vu avec mitraillettes et Traction Avant silloner Chicago en maîtres ? En fait je crois qu'il y a cette fascination du pouvoir et de la richesse facile ou encore ce sentiment que l'esprit perverti n'a plus à se préoccuper que de son intérêt propre, il est libre de toutes obligations morales qui apparaissent à beaucoup comme un fardeau je pense. J'avoue que ce n'est pas tant jouer que diriger le jeu qui m'a toujours intéressé ... parce qu'il me servait de terrain d'étude de la nature humaine (en précisant que je n'ai jamais abusé de cette position pour me décharger de je ne sais quoi) et d'un atelier de création d'une richesse incomparable pour mon imagination insatiable. J'ai toujours mis un très grand soin à peaufiner ces bad-guys avec toute une palette de subtiles nuances dans les caractères; il est très intéressant de créer un personnage foncièrement vicieux et mauvais et de tenter d'estimer son comportement et ses réactions dans les différentes situations. On a toujours tendance à stigmatiser le "Mal" sans pour autant de déplacer dans le psychisme de l'accusé, sans essayer de le penser. Mais je dois avouer qu'il y a un risque de complaisance à éviter dans l'incarnation du rôle : je fais bien attention à mes joueurs. La dépression permet d'estimer bien le blanc au regard du noir par le fait qu'on a connu l'un et qu'on découvre ainsi véritablement l'autre ensuite en comparaison. J'ai eu mes périodes de cynisme et de nihilisme complet mais aujourd'hui je pense avoir appris à m'accrocher à l'essentiel et à relativiser tout le reste; en l'occurence l'essentiel est pour moi cet acte d'éclaircissement que je décrivais avec mère Thérésa parce qu'en donnant du sens à mon environnement il m'en rend à mon existence propre par la valorisation des actes ... mes grandes idées révolutionnaires sont passées à la trappe au profit de ce pragmatisme plus sage et censé à mon sens.
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à 13:50